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21/01/2018

EUROPE : BILANS ET PERSPECTIVES

Nous publions ci-dessous l’intervention de Gérard-David Desrameaux ayant servi d’introduction à la réunion-débat organisée par le RCE le 14 décembre 2017.

 

Quelques mois après l’élection présidentielle du printemps dernier, il n’est pas inutile de dresser un premier bilan de la politique européenne de la France et, au-delà de cette politique, de l’évolution du projet européen à l’intérieur des Etats de l’Union européenne.

Au mois d’avril 2017, nous nous étions interrogés sur l’état de la France, de l’Europe et du monde. Nous avions alors dressé un constat assez sévère, mais je crois sincère, de la situation politique française, européenne et mondiale.

 

I   Le bilan, le constat

 

Aujourd’hui, le constat n’est guère plus réjouissant même si quelques lueurs d’espoir cependant transpercent des zones d’ombre.

Le comportement des Français à l’égard de la construction européenne a beaucoup évolué par rapport aux années cinquante, par rapport au temps de la création du marché commun, de la CECA et d’EURATOM.

L’enthousiasme de l’origine, même si celui-ci était parfois nuancé dans certains secteurs de l’opinion, a peu à peu cédé le pas à une certaine forme de désappointement et de prise de distance.

Et, force est de constater qu’à côté de nous, Européens de cœur et de raison, Européens convaincus, nous avons vu monter dans le pays mais aussi sur d’autres terres d’Europe des forces eurosceptiques, voire franchement europhobes, comme nous le verrons un peu plus tard.

Au-delà de ce constat général, quelques constats particuliers doivent être faits.

En premier lieu, la dernière élection présidentielle a fait apparaître sur la scène électorale nationale plus de candidats hostiles à l’Europe ou indifférents à celle-ci que de candidats défenseurs du projet européen ou, pour être plus précis, de candidats souverainistes que de candidats partisans d’une entité européenne plus soudée, plus unie, à défaut d’une Europe d’essence fédérale.

Les candidats souverainistes, certes à des degrés divers, étaient en effet plus nombreux que jamais : Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Niclolas Dupont-Aignan, François Asselineau, Jacques Cheminade.

Il faut retenir que ces candidats représentaient au premier tour de la présidentielle plus de 45% des suffrages et que le verdict des urnes, si un certain débat n’avait pas montré les limites de la candidate du Front national, aurait pu conduire à la victoire des souverainistes dans notre pays.

Marine Le Pen, n’a pas cessé de vilipender l’Europe tout au long de la campagne électorale. En vérité, elle prônait ni plus, ni moins la sortie de la France, non seulement de la zone euro mais de l’Union européenne elle-même, jusqu’à son virage à la suite de son accord passé avec M. Dupont-Aignan. Cet accord a en effet déstabilisé la candidate du Front national, son discours manquant de clarté et les failles de la candidate apparaissant au grand jour lors du débat de l’entre deux tours.

Nous pouvons observer depuis l’élection présidentielle une modification du positionnement du Front national à l’égard de l’Europe.

En effet, d’une part, il n’est plus question d’une sortie rapide de la zone euro (depuis le ralliement entre les deux tours de la présidentielle de M. Dupont-Aignan et le départ de M. Florian Philippot qui vient de créer « les Patriotes »).

D’autre part, Le Front national a renoncé depuis, au cours de la première semaine d’octobre, au concept qu’il avait lui-même développé de « Frexit » par référence au Brexit.

Dans le même sens, M. Nicolas Bay, secrétaire général du Front national, sur BFM-TV, le 25 novembre 2017 insiste sur la notion d’Europe des nations, d’Europe des coopérations et rejette l’Union européenne qui ne fonctionne pas.

Cet infléchissement risque à terme de complexifier les choses, et nous y reviendrons plus tard, car les positions des uns et des autres vont être moins claires, tout le monde ou presque risquant de se déclarer Européen tout en disant qu’il faut changer d’Europe.

Ce point est à retenir car il peut conduire à ce que le débat qui interviendra dans le cadre de la campagne des européennes de 2019 soit faussé.

Le discours de Jean-Luc Mélenchon, même si ce dernier s’en défend, est à peine moins favorable à l’Europe que celui de Marine Le Pen, puisqu’il n’hésite pas à prôner, et continue de le faire, la sortie de l’Union si on ne peut changer les traités dans le sens de ce qu’il préconise.

A l’évidence, il entend désormais prendre des positions de plus en plus souverainistes dans la perspective des élections européennes de 2019. Il vient de mener une campagne violente contre le drapeau européen, relayé par les députés de la France insoumise.

Ce faisant, Jean-Luc Mélenchon s’aligne sur la position de Marine Le Pen qui, invitée de France 1 dans le cadre de la campagne présidentielle au printemps 2017, avait refusé de s’exprimer sur un plateau de télévision où figurait le drapeau européen.

Je rappelle que le Rassemblement Civique pour l’Europe (RCE) avait lors du traité de Lisbonne dénoncé le retrait de la référence aux symboles de l’Union dans ledit traité.

Cette attitude est consternante.

Elle marque un recul du sentiment d’appartenance à l’Europe.

Pour en finir avec l’élection présidentielle, il faut ajouter que le terreau était favorable à ce type de discours et que, de fait, les projets des candidats Fillon et Hamon semblaient timides et insuffisants au regard de ceux qu’il fallait défendre pour redonner du sens et du tonus au projet européen.

S’agissant du discours d’Emmanuel Macron, il était à l’évidence le plus favorable à l’Union européenne. En cela, il était assez proche du discours développé par les centristes, démocrates sociaux et chrétiens et par des socialistes comme François Mitterrand ou Jacques Delors.

Depuis, le président de la République a pu affiner son projet, notamment à l’occasion d’un discours prononcé à Athènes au cœur de l’été puis à l’automne à la Sorbonne.

Nous y reviendrons dans la deuxième partie de cette intervention quand nous examinerons les perspectives.

Le constat, le bilan, si l’on préfère, au regard de la construction européenne nous conduit à mettre l’accent sur deux points essentiels, deux points déjà mis en valeur lors d’interventions précédentes.

Ils sont suffisamment lourds de conséquences à terme pour que nous y consacrions quelques développements supplémentaires.

Le premier point concerne la montée également de l’euro scepticisme, voire, plus grave encore, de l’europhobie dans les autres pays d’Europe, à l’instar de ce que nous observons en France.

Le deuxième point concerne ce que j’ai tendance à qualifier de balkanisation de l’Europe avec la montée en puissance de mouvements autonomistes, voire indépendantistes.

 

I - L’euro scepticisme et l’europhobie à l’intérieur des différents Etats européens.

 

J’ai eu l’occasion déjà, en mars dernier, de mettre l’accent sur cette montée en puissance des partis eurosceptiques, voire franchement europhobes au cœur de l’Europe.

J’avais évoqué la situation de la Pologne avec le parti ultra conservateur Droit et justice (PIS) qui dispose d’une majorité absolue au Parlement, la situation de la Hongrie avec, notamment, le rôle de ce parti radicalisé d’extrême droite, le Jobbik et le jeu dangereux de M. Orban.

J’avais évoqué également la situation à l’intérieur du groupe de Visegrad et des évolutions inquiétantes tant en République tchèque qu’en Autriche.

J’avais évidemment évoqué aussi la situation qui prédomine au cœur même de l’Europe de l’Ouest, au cœur de ce groupe de pays qui se trouvent être à l’origine de la construction du projet européen.

Depuis, les choses ont continué de progresser globalement dans le même sens. Disons-le, dans un mauvais sens, même si quelques lueurs d’espoir pourront être signalées quand nous parlerons des perspectives.

En Allemagne, à la suite des élections d’octobre 2017, un parti d’extrême droite, l’AFD (Alternative pour l’Allemagne) compte désormais 92 parlementaires qui ont fait une entrée remarquée, sinon fracassante, au sein du Bundestag.

Deux mois après les élections, l’Allemagne souvent montrée en exemple pour sa stabilité gouvernementale au cours des dernières années, voire des dernières décennies, n’a toujours pas réussi à se mettre d’accord sur un programme politique faute d’accord entre les différents partis politiques siégeant au Bundestag.

Or, sans la constitution d’une coalition efficace et crédible, il sera difficile de relancer un processus de refondation du projet européen.

Il s’agit-là, au minimum, d’un contretemps.

En République tchèque, un parti populiste conduit par M. Andrej Babis, l’ANO (Action des citoyens mécontents) accède au pouvoir.

Il dénonce le système politique « inefficace », les partis corrompus, le Parlement qu’il qualifie de « Chambre de bavardage », l’immigration.

Un autre parti, le parti conservateur eurosceptique de l’ODS doit être également signalé.

Un autre parti tchèque, europhobe et xénophobe, conduit par M. Tomio Okumara, un entrepreneur japonais, doit encore être cité.

Aux Pays-Bas, un nouveau parti d’extrême droite concurrence désormais le parti de M. Geert Wilders, Parti pour la liberté. Il s’agit d’une droite alternative menée par M. Thierry Baudet qui veut défendre « l’identité néerlandaise. Le parti de M. Thierry Baudet, juriste de 34 ans, s’appelle « le Forum pour la démocratie ».

On observera au passage que tous ces partis qui peuvent être qualifiés d’identitaires ont recours à des qualificatifs de démocratie, de liberté, ce qui apporte un peu plus de confusion dans le débat public quand il convient de les situer sur l’échiquier politique.

Ce parti met en avant les points suivants :

La défense de l’identité néerlandaise.

La critique de l’élite politique incarnée notamment par l’Europe.

L’extension des consultations populaires, alors que le nouveau gouvernement du Premier ministre Mark Rutte (3ème gouvernement issu des dernières élections législatives) entend limiter le recours à ces référendums.

En revanche, il ne reprend pas les thèmes de Wilders sur l’Islam.

En 2005, toutefois, il estimait que l’Islam constituait un danger.

Il milite pour la « virilité » plutôt que le « consensus », une valeur féminine selon lui !

Cependant, au-delà même de ce constat et des inquiétudes qu’il peut faire naître chez nous, partisans d’une Europe forte, il faut essayer de comprendre, ce qui ne veut pas dire justifier, ce phénomène.

Nous assistons vraiment à une montée en puissance de l’exacerbation du sentiment nationaliste, non seulement en Europe, mais aussi à travers l’ensemble du monde.

Nous sommes en effet confrontés chaque jour à des replis identitaires plus forts engendrés sans doute par des peurs multiples et variées face aux conséquences d’une mondialisation pas toujours envisagées ni même espérées ou souhaitées.

L’Europe elle-même, en tant qu’entité indépendante, en tant qu’institution, semble prendre conscience qu’il lui faut davantage faire face aux prétentions notamment commerciales, économiques et financières souvent agressives de certaines puissances, dont la Chine, notamment, et de multinationales toujours plus conquérantes.

La concurrence est rude et les armes employées sont parfois redoutables (délocalisations, transferts de technologies, concurrences effrénées et rarement loyales, coût du travail jugé toujours trop élevé, travailleurs détachés, surenchères diverses et variées, flux migratoires mal contrôlés).

Au demeurant, comment préserver pour des puissances majeures, hier dominantes et maîtresses de leur destin, une place éminente sur la scène du monde ?

Aussi, les alliances, absorptions, regroupements, fusions entre entreprises ne cessent de se développer afin de continuer à exister dans un monde où la place de l’homme, de l’individu n’est pas assez prise en considération, et il s’agit-là d’un euphémisme !

Quid de la survie d’entreprises susceptibles de passer sous pavillon étranger ?

Quid de ces délocalisations qui répondent à des exigences commerciales et comptables de certains chefs d’entreprises et font le malheur de salariés privés de leur emploi et atteints dans leur dignité et leurs conditions de vie ?

 

II - Une Europe qui se balkanise

 

Parallèlement aux phénomènes que nous venons de rappeler, le Brexit se met difficilement en mouvement. Les discussions entre Londres et Bruxelles sont complexes et bien des obstacles demeurent même si des avancées ont été réalisées notamment quant au coût de la séparation et du problème lié entre l’Irlande et l’Irlande du Nord.

Nous assistons comme des spectateurs blasés à une lente érosion de nos Etats nations.

L’Espagne se délite. Le Parlement catalan proclame l’indépendance et la création de la République. Il en résulte une mise sous tutelle de la Catalogne   par le Sénat qui vote à une majorité écrasante en faveur de la mise en œuvre de l’article 155 de la Constitution espagnole.

Attention, la Boîte de Pandore est ouverte aux conséquences énormes pour l’avenir de la construction européenne.

L’Europe doit faire face à des forces centrifuges. Peu à peu, se dessinent des tendances fortes qui prônent ici le repli identitaire, le repli sur soi et là sur des velléités d’autonomie, voire d’indépendance.

Ici, la Catalogne, là l’Ecosse, la Flandre, la Lombardie, la Vénétie, demain peut-être la Corse. Sans doute les situations ne sont pas toutes comparables et les demandes d’émancipation du même ordre. Ainsi, la situation Corse ne peut être assimilée à celle de la Catalogne. Pour autant, globalement, toutes procèdent d’une même démarche : retrouver plus d’autonomie.

Il fallait unir. Il fallait rassembler. Désormais, chaque Etat est traversé par des fluides, des courants qui poussent à la sécession, au séparatisme.

Les cas de figure sont très divers comme il vient d’être dit. Les particularismes locaux varient en fonction de l’histoire, de la géographie et des circonstances. Mais, c’est bien à une fuite en avant que nous assistons, une fuite en avant vers une sorte de « détricotage » du projet européen et peut être même de la notion du vivre ensemble.

A cet égard, deux exemples récents peuvent être évoqués, même s’ils ne sont pas tout à fait de même nature :

Ainsi, à Barcelone, en 2016-2017 on a assisté à une dénonciation de la venue massive de touristes avec menaces et actions contre des touristes.

Dans le même sens, et dans le même temps, à Bordeaux, sont apparus des slogans du type : « Dehors les Parisiens ».

Ces campagnes montrent la montée en puissance d’un mouvement général de rejet de l’autre.

Il est temps de dire attention, car nous devons faire face à des dérives inquiétantes qui se développent à la vitesse grand V.

 

Quid, à terme de l’unité de l’Europe dans la diversité de ses peuples ?

Attention aux velléités d’autonomie, voire d’indépendance de régions et provinces !

Encore une fois, attention à une forme de balkanisation générale de l’Europe !

Une idée simple doit être retenue :

Plus une région ou une province dispose d’une grande autonomie, plus elle revendique et aspire à une véritable indépendance.

Le débat entre Girondins et Jacobins semble bien promis à un bel avenir.

Le communautarisme prôné par certains pourrait à terme amplifier le phénomène et constituer une menace majeure pour l’équilibre de l’ensemble européen !                                                  

 

Au-delà de ces deux points essentiels que nous venons de rappeler, il convient d’évoquer un certain nombre de faits et de problèmes permettant de mieux appréhender l’état de l’Union européenne en cette fin d’année 2017.

Afin de ne pas lasser l’auditoire et de ne pas monopoliser la parole, je me contenterai de les citer, étant précisé qu’il ne s’agit pas de livrer ici une liste exhaustive mais de mettre en évidence quelques uns des problèmes qui se posent à l’Europe :

La poursuite des négociations sur le Brexit.

Le délicat problème du traité relatif aux travailleurs détachés, même si un compromis semble avoir été trouvé au mois d’octobre dernier.

L’établissement de ce compromis montre une fois de plus combien il est difficile dans le cadre institutionnel actuel de l’Union de progresser : durée avant son entrée en vigueur prévue seulement en 2022, exceptions prévues dans certains secteurs, transports routiers notamment, etc.

Les inquiétudes de certains Etats sur l’application du traité de libre échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA) demeurent.

Nicolas Hulot et de nombreuses ONG font valoir que le traité n’est pas compatible avec l’accord de Paris sur le climat.

L’absence d’une politique migratoire commune et du traitement des flux de réfugiés.

L’absence d’une Europe de l’énergie alors même qu’à l’origine du projet européen, dans les années cinquante, les pères fondateurs de l’Europe avaient notamment mis l’accent sur cet aspect fondamental de la construction européenne en donnant le jour à la CECA et à l’EURATOM.

La position de l’Union européenne à l’égard des glyphosates montre combien il est difficile d’accélérer certains processus et de faire évoluer des situations y compris quand le principe de sécurité devrait primer sur toute autre considération.

Trois ans, cinq ans, dix ans ?

Trois ans (position du président français).

Dix ans, position de l’Union au départ.

Cinq ans position de compromis ?

L’Europe a une position trop ambiguë concernant les discussions relatives à l’adhésion de la Turquie.

Eu égard à l’évolution des choses au sein même de l’Union, aux tensions extrêmes, à la montée en puissance des populismes, il est tout simplement irréaliste et dangereux d’entretenir le moindre doute quant à l’entrée éventuelle même dans une perspective éloignée de la Turquie en Europe.

Les hésitations et les contorsions ne servent pas la cause des Européens convaincus.

J’ajoute que les dernières déclarations du président Erdogan à l’égard d’Israël devraient conduire les Européens à ne plus tergiverser au regard des valeurs mêmes de l’Europe.

 

Je terminerai ce bilan par quelques données de nature économique :

 

La BCE réduit progressivement ses soutiens à l’économie.

Elle devrait en effet baisser ses rachats de dettes publiques et privées.

La croissance devrait dépasser 2% en 2017 dans la zone euro, ce qui est selon les experts un facteur jugé positif.

Dans le même temps, le Brexit semble nuire à l’économie britannique.

La livre sterling aurait perdu 15% environ sur une année.

Pour la première fois, en dix ans, la Banque d’Angleterre a relevé ses taux d’intérêt.

L’euro a de son côté progressé de plus de dix pour cent par rapport au dollar.

Le chômage atteint en Allemagne le taux le plus bas enregistré depuis la réunification : (soit 5,4% de la population active et 2,39 millions en octobre 2017).

Paris a été choisi pour devenir le siège de l’Autorité bancaire européenne qui se situait à Londres avant le Brexit. Dans le même temps, des délocalisations de la City vers Paris ont commencé.

Il semblerait que des centaines de personnes auraient déjà quitté la City pour la France et 4000 seraient sur le point de partir.

 II   Les perspectives

 Le tableau du bilan, au demeurant assez sombre qui vient d’être dressé, s’éclaircit quand nous nous penchons sur les perspectives d’avenir.

Sans donner l’impression de les examiner à travers le prisme déformant de la vision française, force est de constater que l’impulsion nouvelle donnée au projet européen est la conséquence directe de l’élection de l’actuel président de la République, M. Emmanuel Macron.

A l’évidence, tant en France qu’à Bruxelles, les Européens convaincus ont été rassurés par l’élection d’Emmanuel Macron tant les inquiétudes étaient grandes de voir la victoire d’un ou d’une candidate souverainiste.

Les premiers pas du nouveau président de la République, le soir de son élection, ne pouvaient que satisfaire les partisans de la construction européenne. Le symbole d’une marche au son de l’Hymne à la joie, de l’Hymne européen était puissant et porteur d’espoir.

Depuis, le chef de l’Etat a eu l’occasion, à deux reprises notamment, à Athènes dans le courant de l’été, puis à la Sorbonne dans le courant de l’automne de développer son projet européen.

En tant qu’auteur d’un ouvrage intitulé : Pour une Europe souveraine, écrits et plaidoyers, ouvrage publié en 2014 à la veille des élections européennes, je n’ai pu que me réjouir d’entendre le président de la République reprendre à son compte le thème de l’Europe souveraine. L’expression revenant environ une dizaine de fois dans son discours prononcé à la Sorbonne.

Ce discours est très riche et va bien au-delà des vagues propositions développées par la plupart des hommes ou des femmes politiques actuels.

Il se fait notamment l’apôtre de la « refondation d’une Europe souveraine unie et démocratique. » avant d’ajouter :

« L’Europe seule peut, en un mot, assurer une souveraineté réelle, c’est-à-dire notre capacité à exister dans le monde actuel pour y défendre nos valeurs et nos intérêts. Il y a une souveraineté européenne à construire, et il y a la nécessité de la construire.»

 

Pour le chef de l’Etat, il faut refonder l’Europe, et cette refondation passe par six clés de la souveraineté :

1 – La sécurité.

Il faut jeter les bases d’une Europe de la défense.

2- Maîtriser nos frontières en préservant nos valeurs.

Cela suppose la construction d’un espace commun des frontières, de l’asile et de l’immigration.

3 – Politique étrangère.

Cette politique implique un partenariat avec l’Afrique et une politique de développement.

4 – La transition écologique.

Transformer nos transports, nos logements, nos industries.

Cela implique d’avoir un marché européen de l’énergie.

Une nouvelle politique agricole européenne qui ne doit être ni bureaucratique, ni injuste.

Cette politique doit servir la transition agricole face aux grands défis de la mondialisation.

5 – La cinquième clé passe par le numérique.

Cela implique une taxation du numérique.

6 – La puissance économique, industrielle et commerciale

L’idée étant d’aller vers une Europe intégrée à partir de l’Union économique et monétaire.

Cela passe par des convergences et des coordinations de nos politiques économiques ainsi que l’existence d’un budget commun.

Un ministre commun du budget et un contrôle parlementaire exigeant au niveau européen. [La question du contrôle est essentielle car l’idée risquerait d’être durement combattue si l’on avait le sentiment de confier à un homme seul ou presque le soin de décider de la politique économique de l’Union. Celle-ci ne peut être déconnectée des aspirations réelles des citoyens].

Une autre idée forte qui correspond à celle que nous avons nous-mêmes toujours défendue ici est rappelée :

« Seule la zone euro avec une monnaie forte et internationale peut offrir à l’Europe le cadre d’une puissance économique mondiale »

L’Europe des vingt-huit ne peut fonctionner comme l’Europe des six.

Une autre idée développée à juste titre est qu’il faut en finir avec la recherche permanente du plus grand dénominateur commun.

A tout cela, il faut ajouter le combat mené par le président français aux fins de réviser la directive de 1996 sur les travailleurs détachés afin de combattre notamment le dumping social.

Force est de constater qu’un compromis a été obtenu sur le problème des travailleurs détachés le 23 octobre dernier.

Cet accord, ce compromis, est une étape vers une meilleure lutte contre le dumping social.

Il s’agit d’un pas timide. Sera-t-il suffisant pour éviter de nouvelles avancées des eurosceptiques et des europhobes ?

La réforme, même limitée, consacre cependant le principe d’un « salaire égal, à travail égal, sur un même lieu de travail. »

Une réserve, la durée de la mise en œuvre de la nouvelle réglementation et les exceptions retenues relatives notamment aux transports routiers.

Dans un autre domaine, celui de l’interdiction notamment des glyphosastes, des avancées ont été obtenues. Le président souhaitait trois ans, l’hypothèse de départ était une interdiction au bout de dix ans. Un compromis aurait été trouvé sur le délai de cinq ans.

Au-delà de la position des différents protagonistes, la vraie question est celle de savoir si l’intention d’interdire est vraiment réelle et si les délais permettent de substituer aux produits interdits des produits de substitution efficaces et sans danger pour la santé et pour la nature.

Autres propositions du chef de l’Etat qui vont dans le sens de ce que nous réclamons depuis des années, à savoir aller vers une vraie convergence des taux de fiscalité et principalement des taux d’impôt des sociétés et aller vers une harmonisation sociale.

Il est de fait que la divergence des taux d’impôt sur les sociétés fragilise toute l’Europe.

Pour refonder l’Europe, le président propose de passer par des conventions démocratiques écartant l’hypothèse d’un référendum impliquant un choix binaire avec une réponse par oui ou par non.

En vérité, le grand rendez-vous est celui des élections européennes du mois de juin 2019. Et la période 2019-2024, celle de la transformation de l’Europe.

Une révision des institutions européennes est envisagée, avec une limitation à 15 du nombre des commissaires.

J’émettrai pour ma part deux réserves à ce stade : l’abandon par les principaux pays des fonctions de commissaires et d’autre part l’idée d’élargir encore l’union européenne aux pays des Balkans et je m’étonne du silence concernant le cas turc.

Ainsi, des propositions concrètes ont été formulées par le président de la République.

La question se pose alors de savoir comment celles-ci ont été accueillies par nos partenaires et sur les chances de les faire aboutir ?

Nous allons dans la discussion qui va suivre essayer de répondre à cette question.

 

Je vais, avant de conclure cette brève et cependant néanmoins trop longue introduction, faire quelques observations supplémentaires :

Le projet de refondation est globalement bien accueilli par nos principaux partenaires.

Pour autant plusieurs facteurs ne sont pas de nature à en faciliter la réalisation rapide.

En premier lieu, le mécanisme européen est complexe.

Lenteurs, recherches de compromis, remises en cause, avancées et reculs alternent.

La plupart des partenaires européens semblent moins enclins que nous à vouloir « refonder l’Europe ».

L’Italie vit dans la perspective d’élections législatives difficiles (février 2018).

L’Espagne est confrontée à une grave crise avec le problème de la Catalogne.

L’Allemagne connaît de sérieuses difficultés quant à la constitution d’une coalition gouvernementale en raison de forts antagonismes entre les différents partis susceptibles d’y participer et avec l’entrée au sein du Bundestag de près d’une centaine de parlementaires d’extrême droite.

Plusieurs pays de l’Europe de l’Est posent de graves problèmes au regard du respect des libertés publiques et disons-le tout simplement au regard de l’Etat de droit. Ainsi en est-il plus précisément des pays appartenant au groupe dit de Visegrad.

Sur le thème de l’Europe à plusieurs vitesses et notamment sur l’idée défendue, me semble-t-il à juste titre par le chef de d’Etat d’une Europe intégrée (zone euro) et de l’Union européenne (Marché), M. Tusk, président du Conseil a indiqué dès le 19 octobre 2017 : « Tant que je serai en poste, je serai le gardien de l’unité.» prenant ainsi parti pour ceux qui, notamment à l’Est craignent une Europe à deux vitesses.

Dans le même sens, M. Juncker, président de la Commission, dans son discours sur l’état de l’Union prononcé le 13 septembre 2017 rejette l’idée d’une Europe à plusieurs vitesses.

Il se déclare partisan de mesures uniformes prises par tous les membres de l’Union.

En soi l’idée est louable. Il ne faudrait pas tout simplement qu’elle soit synonyme d’inertie et de paralysie.

« La refondation de l’Europe est urgente » a encore réaffirmé le chef de l’Etat le 10 novembre 2017 devant le président de la République d’Allemagne à l’Elysée. C’est indiscutablement à ce prix que l’on pourra échapper à la dérive populiste et au retour en force des nationalismes exacerbés sur ce continent qui a déjà beaucoup souffert de ces maux aux XIXe et XXe siècles.

Et, je voudrais conclure cette introduction au débat, à la discussion qui va suivre, par cette question qui me paraît fondamentale :

Quid de l’avenir de l’Etat-nation, car s’il faut se prémunir du nationalisme exacerbé comme je le qualifie, que faut-il penser de l’émergence d’une Europe des régions, d’une Europe faite de micro Etats, d’une Europe balkanisée ?

N’y a-t- il pas là un risque majeur pour l’avenir de la construction européenne, l’avenir du projet européen, en d’autres termes pour notre avenir ?

Gérard-David Desrameaux

10/01/2018

De l'alternance au partage du pouvoir

Nous reproduisons ci-dessous la conclusion du livre de Gérard-David Desrameaux De l’alternance au partage du pouvoir, publié en novembre 2017 aux Editions Bréal.

 

Partager le pouvoir, ce n’est pas organiser la confusion du pouvoir et moins encore la paralysie du pouvoir, c’est rechercher un équilibre des pouvoirs afin que les intérêts de la cité comme ceux de l’Etat soient défendus et débattus dans la clarté et une totale transparence.

Au-delà des textes, au-delà des intentions, des réformes promises, voire engagées, il faut en appeler à une éthique de la responsabilité, à un changement des esprits et des comportements.

La politique a besoin de cohérence et de lisibilité. Sans clarté et sans objectifs nettement définis et respectés dans la mise en œuvre, c’est toute la confiance d’un peuple qui est mise à mal.

Un changement radical dans la façon de faire de la politique correspond à une ardente obligation. Rien ne sera possible sans une dimension éthique et une volonté d’apaiser les relations entre les femmes et hommes de notre pays.

Encore une fois, il faut passer de la déliquescence à la quintessence du discours politique et être capable de tracer une voie, fixer un cap, proposer de grands desseins et penser des projets politiques en sachant mettre sous le boisseau les petites rivalités partisanes et les petites ambitions personnelles . Le renouveau de la politique passe peut-être et plus sûrement par ce chemin que par des alternances radicales.

Unis dans la diversité, la devise européenne, devrait inspirer la classe politique française.

Refonder nos institutions est une nécessité pour éviter de dériver vers je ne sais quelle rive incertaine et d’aller vers je ne sais quel type de régime autoritaire ou populiste.

Le partage du pouvoir, au-delà des mots, au-delà de la formule, est une exigence démocratique. Enfin, il doit être bien clair, mais est-il utile de le préciser, que le partage du pouvoir s’entend non pas du partage des avantages du pouvoir mais du partage des prises de décision, donc de l’exercice du pouvoir.

Au demeurant, en appeler à un partage du pouvoir et combattre les clans opposés systématiquement les uns aux autres ne signifie nullement vouloir la fin des clivages. Il ne s’agit pas d’aller vers une force hégémonique, fut-elle centrale, qui serait de nature à réduire les débats en son sein et à opposer une vision uniforme de la société.

Réduire les antagonismes, ce n’est pas nier les sensibilités et les différences, c’est au contraire leur permettre de se développer en dehors de tout sectarisme et dogmatisme et c’est aussi éviter le mortel moule de la pensée unique. C’est aussi et surtout mettre un terme à des divisions artificielles qui ternissent l’image de la politique et à travers elle celle de la démocratie.

Gérard-David Desrameaux

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